D'un siècle à l'autre

Je me suis intéressée très jeune à la pensée du futur par le biais de la science-fiction, ce qui explique sans doute l'impressionnante bibliothèque que j'ai pu me constituer dans ce domaine. Puis j'ai découvert la prospective à travers la revue Futuribles lorsque j'étais sur les bancs de Sciences-Po, vers 19 ans, et je m'y suis consacrée à partir de mon inscription au CNAM au cours de Prospective Industrielle de Michel GODET, quelques années plus tard. Enfin j'ai consacré ma thèse de doctorat à Gaston BERGER

En résumé, sur une période de 40 ans, j'ai pratiqué la prospective avec mes commanditaires, j'ai développé ses méthodes et concepts en tant que chercheur, je l'ai enseignée à des étudiants et j'y ai formé des professionnels, j'en ai parlé et ai partagé sa découverte à travers des conférences et des articles, et finalement j'ai contribué autant que faire se peut à la consolidation de sa communauté internationale (WFSF, WFS, APF, MP) et de ses commauntés locales, not. française (SFDP).

Depuis 2024, pour regrouper en un lieu les différentes informations ou réflexions issues de mes activités prospectives actuelles, je publie une newsletter sur LinkedIn, en anglais : News from the Futures Studies Field. 

Renouvellement générationnel

Or nous arrivons maintenant à un moment intéressant dans l'histoire de la prospective, celui de son renouvellement générationnel. 

Certes, plusieurs changements de génération est déjà eu lieu dans ce domaine. Ainsi, en France, nous en sommes à la 4ème génération :

L'apparition de cette 4ème génération a lieu à l'échelle mondiale. Jusqu'à présent, chaque passage de relais s'est effectué traditionnellement : les fondamentaux étaient transmis par les aînés aux plus jeunes et ceux-ci y ajoutaient leur touche.

Le paradoxe

Cette fois-ci, sur la toile de fond de la Grande Transition, le paradoxe s'énonce clairement. 

La nouvelle génération s'éloigne de plus en plus, inconsciemment, des connaissances académiques qui ont forgé le domaine des Futures Studies. Faut-il donc développer un effort pédagogique massif pour les "ré-évangéliser" ou, au contraire, abandonner toute transmission pour qu'ils puissent forger une nouvelle approche du futur, plus réussie que la nôtre ?


POUR

Supposons que nous voulions sérieusement évangéliser cette nouvelle génération de prospectivistes, comment s'y prendre ? 

Voici quelques suggestions :

CONTRE

Notre monde est menacé par une crise dont l'ampleur semble échapper à ceux qui ont le pouvoir de prendre de grandes décisions pour le bien ou pour le mal. La puissance déchaînée de l'homme a tout changé, sauf nos modes de pensée, et nous glissons vers une catastrophe sans précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l'humanité veut vivre. Détourner cette menace est le problème le plus urgent de notre temps. Albert EINSTEIN

Si le fait de penser le futur a toujours existé, en revanche le champs de la prospective n'a pas encore un siècle. Bien qu'il ait considérablement évolué depuis son apparition en 1945, il véhicule encore des concepts et des méthodes obsolètes (notamment les méthodes d'experts comme Delphi). Il a aussi été le théâtre d'une véritable colonisation intellectuelle (d'origine américaine avec le forecasting mais aussi russe avec la prognosis) au détriment de diverses formes autochtones de la pensée du futur.

Il suffirait donc de ne rien faire pour laisser les traces du passé des Études et Recherches à Vocation Prospective (Futures Studies) continuer à s'effacer et, tout simplement, faire confiance aux nouvelles générations pour qu'elles créent une nouvelle pratique mieux adaptée à leurs besoins.

Les anciennes générations pourraient même se faire l'écho de ces nouvelles approches pour en favoriser le développement, sans un regard sur le rétroviseur.

FGB - 14 février 2024

NB. J'ai toujours cru dans les institutions, c'est sans doute pourquoi j'ai passé une grande partie de ma vie à essayer de construire des institutions durables, souples, capables de résister aux vents de l'Histoire tout en offrant un abri aux voix qui portent peu, aux bonnes volontés armées de leur seule passion, aux innovateurs désireux d'expérimenter dans des conditions favorables. 

Mais durant ces 40 dernières années, j'ai appris que la plupart des institutions ne sont que des coquilles vides lorsqu'il n'y a pas en leur sein une personnalité forte, charismatique, visionnaire, qui les embarquent, les font naviguer sur les vagues du progrès. Sinon, elles ne font que rester au port, navires inutiles. Et comme il est rare que ces personnalités se succèdent, toute institution est vouée à passer une grande partie de son existence au port...